Le petit garçon le savait, il n'était pas comme les autres. Cela le rendait sauvage. Il avait appris à se taire pour ne pas subir les moqueries des autres enfants.

Il s'isolait systématiquement.

Ses parents ne savaient pas quoi faire pour l'aider. D'autant plus qu'ils savaient que ce qu'il vivait, il le vivrait à vie.

Le petit garçon lui, appelons-le Yvan. Yvan donc souffrait bien un peu de son isolement, mais pas plus que ça. Son univers était tellement riche qu'il lui suffisait et il n'avait pas besoin de copains ou de copines.

Mais, quand même !

Yvan aurait bien aimé pouvoir partager ce qu'il entendait-voyait avec d'autres personnes que ses parents. En même temps, il y avait...

Mimi.

Mimi était la grand-mère d'Yvan, et comme toutes les grands-mères, son petit fils était son trésor, son chevalier, le personnage le plus important de sa vie et avec elle, tout paraissait simple, lumineux. La vie était un jeu permanent. Un jardin dans lequel on découvrait tout le temps un nouveau parterre, de nouvelles fleurs, un recoin secret supplémentaire.

Ce jour-là, Mimi était venue chercher Yvan pour le week-end.

« Bonjour mon poussin »

Yvan rit « aujourd'hui, je suis rouge »

Mimi rit également

« Mais les poussins sont jaunes, mon poussin »

« Oui, mais quand tu le dis, c'est le rouge que je vois »

Ils rirent tous les deux. La journée s'annonçait bien...

C'était devenu un jeu entre eux. Yvan voyait les mots en couleurs. Il évoluait dans un univers composé de plus de couleurs que de lettres. Cela lui posait des problèmes à l'école car il avait du mal à suivre les leçons traditionnelles leçons. Il aurait fallu adapter toutes les leçons et les adultes n'avaient pas le temps, parfois pas la patience. Yvan s'était un peu éternisé dans les classes d'apprentissage...

Ses parents hésitaient à le couper d'une école traditionnelle et à le mettre dans un institut spécialisé. Mimi les encourageait à sauter le pas. On pouvait faire un essai sur une année pour voir comme Yvan vivait le changement et s'il s'adaptait. Sa grand-mère voyait avec tristesse le petit garçon se couper des autres enfants, ces derniers l'ayant catalogué dans la catégorie « débile »... et pourtant, qu'il était vivant avec elle, comme ils s'amusaient tous les deux.

Elle ne voulait pas rester la seule amie de son petit-fils.

Pour la journée, ils allaient faire des collages, de la peinture, de la cuisine. Elle raconterait des histoires et Yvan lui raconterait les couleurs, il la ferait entrer dans son univers multicolore ; elle l'initierait au monde « normal ».

Yvan entra dans un institut spécialisé, d'abord en externat pour voir comment son intégration se faisait, puis en internat.

Il ne se fit pas une multitude de copains ou de copines, mais il s'isola moins il apprit des autres qu'être différent n'était pas « mal » et que les différences étaient nombreuses.

Il apprit également la bienveillance, l'attention à l'autre, les petites attentions qui font chaud dans la région du cœur.

Le petit garçon grandit, devint un jeune homme épanoui, artiste. Ses peintures, originales, chacune partant d'un mot qu'il reproduisait ensuite en couleurs lui apportèrent une renommée singulière.

Cependant, il avait gardé de son enfance le goût pour une vie sauvage et les mondanités le laissaient froid. Il laissait cela à son agent, la très jolie Mélodie.

Mélodie entendait de la musique partout autour d'elle. Mais, contrairement à Yvan, elle adorait les gens, la foule...

Ils se complétaient parfaitement. Elle acceptait son côté Ermite, il accueillait avec joie son côté ultra-sociable.

Quand ils étaient tous les deux, Mélodie chantait ce qu'elle voyait et Yvan peignait ce que Mélodie lui chantait. Il avait forgé leur petit nid au creux duquel ils étaient heureux.

Mimi avait « grandi » également. Elle avait plus de difficultés à prendre la voiture ; c'est Yvan qui venait la voir. Elle avait aménagé son garage en atelier de peinture et il venait souvent pour profiter du calme et de sa Mimi.

Ainsi passait la vie, doucement, avec bonheur et tout en couleurs et Mimi savait que quand elle ne serait plus là, Yvan et Mélodie seraient heureux.

Alors, oui, vraiment, tout était bien.

 

Marylo
06/05/2020

 

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