Découvrez les textes créés par l’atelier d’écriture de la médiathèque de Leuville.

Le thème était de saison avec une phrase de début et une phrase de fin imposées :

"Il va me falloir marcher sur la pointe des pieds."
"J'écris pour les coquelicots."

 

Mon carnet de mémoire - Evelyne

Il va me falloir marcher sur la pointe de pieds. Quel imbécile, vraiment !
D’accord, il en a marre que je ne sorte jamais sans mon carnet et mon stylo, ça l’énerve que je m’arrête partout quand nous nous promenons pour y écrire mes impressions. Il ne comprend pas que j’aie ce besoin de noter sur le moment ce que je pense, ce que je ressens, ce que je vois tout simplement. Il ne sait pas que ma mémoire un peu trouée ne me permettra pas forcément de retrouver tout cela plus tard.
J’ai toujours aimé écrire mais depuis quelque temps, c’est devenu une nécessité pour moi.
Je n’ai pas encore osé dire à Emmanuel que j’oublie de plus en plus de détails sur ce que je vois, ce que je vis, sur les gens que j’aime et les choses que j’apprécie… La mémoire ancienne, oui ; en tous cas encore pour l’instant. J’ai aussi toujours la mémoire des proches heures passées. Tout cela me permet de donner l’illusion que, excepté quelques petits incidents que je parviens à cacher dans la dérision et avec beaucoup de concentration, mes pertes de mémoire ne sont pas encore inquiétantes.
Mais cet après-midi, en nous promenant dans la campagne et alors que je venais de sortir de mon sac mon petit carnet et mon stylo effaçable, qui font maintenant partie des objets les plus indispensables à ma vie, Emmanuel s’est énervé.
« Mais tu ne peux pas t’en passer cinq minutes ?! Ce qui est autour de nous ne t’intéresse pas ? Ce que je te dis ne t’intéresse pas ? Il faut vraiment, là, tout de suite, au milieu des champs, que tu dégaines tes papiers et ton crayon ? Tu prépares un roman ou quoi ? Ça fait plusieurs semaines que tu fais ça. Au début, j’ai trouvé ça plutôt mignon que tu veuilles te souvenir de ce que nous voyons ensemble mais maintenant, ça commence à m’énerver sérieusement ! Qu’est-ce que tu comptes en faire, à la fin ? » Cet éclat m’a tellement surprise que je n’ai pas su lui répondre. Je ne pensais pas qu’il avait autant remarqué ma nouvelle habitude. En principe, j’essayais d’éviter de prendre mes notes devant lui. Et de la même manière, j’attendais d’être seule pour les lire ou les relire, les fixer dans mon esprit, me rassurer en me disant que je les aurais… plus tard. J’ai toujours eu une meilleure mémoire de ce que j’écris.
Mais Emmanuel ne m’a pas laissé le temps de lui répondre. Il m’a arraché le carnet des mains et l’a jeté au loin, dans le champ fleuri au bord duquel nous marchions.
D’un coup, j’ai ressenti que le souvenir de plein de moments des semaines passées allait m’échapper ; que bientôt je ne me rappellerais pas de ce que j’avais vu et vécu ces derniers temps ; que tout allait s’accélérer si je n’avais plus cette possibilité d’écrire puis de relire ce qui se passait dans ma vie.
Sans réfléchir davantage, j’ai crié « Mais tu ne comprends rien ! » et le laissant là, sidéré, j’ai commencé à traverser le champ de coquelicots. Je l’avais trouvé si beau quelques instants plus tôt que j’avais voulu noter dans mon carnet ce que la vision de ces fleurs si belles et fragiles, couchées par le vent, si vivantes, éveillait en moi.
Maintenant, à l’approche de l’endroit où doit avoir atterri mon carnet, je marche de plus en plus doucement, les yeux rivés devant moi, scrutant la terre d’où émergent les tiges ployant de tous côtés. Je ne peux pas repartir sans lui.
Un instant, je me tourne vers Emmanuel, qui me regarde du bord du champ, les bras ballants. Il va bien falloir que je lui explique. Mais tout ce qui me vient alors, c’est : « J’écris pour les coquelicots ».

Evelyne F.

 

Les coquelicots - Jocelyne

Il va me falloir marcher sur la pointe des pieds. Je suis une danseuse, je suis une princesse. J’ai mis ma robe rose, celle qui tourne au vent. Pointe, flex, pointe, flex.

Aujourd’hui, j’ai dix ans, qu’importe le regard des autres, qu’importent les articulations qui grincent.

Pointe, flex, un petit pas à droite ; pointe, flex, un petit pas à gauche.

J’investis le jardin, je sens le vent sur mon visage ; il est doux, il est fort, il me dit que je suis vivante.

Bonjour Madame la marguerite. Me permettez-vous de vous effeuiller. Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément. Mon prince s’en est allé il y a cinq ans déjà. Mais Madame la marguerite sait bien que je l’aime toujours passionnément. Un jour, quand j’aurai fini de rêver, je me laisserai pousser les ailes pour le rejoindre au ciel.

Mais aujourd’hui, pointe, flex, je suis une danseuse.

Je dénoue les rubans à mes chevilles encore si graciles. Pieds nus dans l’herbe, j’ai envie de rire. Je sens les brins se glisser entre mes orteils. Bande de petits coquins, mais arrêtez donc !

Salut Raymond. Quand oublieras-tu d’afficher cet air bougon ? Enlève tes chaussures et vient rire avec moi.

Bonjour pissenlit, merci pour tes aigrettes. Je les souffle sur Raymond. Ça lui fait quelques cheveux blancs sur la tête. C’est drôle : dire qu’il a dû avoir des cheveux un jour…

Pointe, flex, un petit tour à droite, pointe, flex, un petit tour à gauche. La tête me tourne un peu ; c’est agréable. C’est comme quand je buvais un kir royal. Je suis encore une princesse, même si mon prince est parti.

Ho, Messieurs, que vous êtes beaux dans vos habits rouges un peu froissés. J’ai envie de vous caresser, vous avez la peau de velours. Si fragiles… vos tiges tremblent comme mes pauvres gambettes. Mais vous dansez vous aussi, c’est ça ? Allez, dansez sous le vent avec moi !

« Oui Sonia, j’ai entendu, c’est l’heure du goûter »

Ils ne comprennent rien ici. Ils pensent que j’ai perdu la tête. Les pauvres malheureux. Je sais bien, moi, que je suis la seule à avoir encore tous mes esprits ouverts au bonheur.

Messieurs les coquelicots, chantez avec moi : « Vé, vé, véééé ; i, i, iiiii ; E, e, eeee … »

Regardez comme mes bras tracent les lettres au ciel : V . I . E .

« Oui Sonia, j’arrive ! Fichu goûter ! Je suis occupée ! J’écris pour les coquelicots. »

Jocelyne D.

 

Pour que la mer flamboie - Jacqueline

Il va me falloir marcher sur la pointe des pieds.
Le sable est trop brûlant aujourd’hui, il se prend pour un sable d’août !
Et les petits galets au bord de la mer entament joyeusement ma plante de pieds.
Je les contourne précautionneusement et j’ai l’air d’une dinde ainsi : hésitante et précieuse, la vraie parisienne blafarde fraichement débarquée !

Une fois entrée dans la mer jusqu’aux genoux, je reste sur la pointe des pieds, elle est glaciale et je veux gérer centimètre par centimètre ma progression en elle… Nos retrouvailles annuelles sont un des grands moments de ma vie… Ah non, ne me fais pas le coup de la vague perfide ma grande bleue !
Ouh là là, le passage du ventre ! Et ouh là là, celui de la poitrine ! Je pressens les morsures des épaules et de la nuque qui vont être horribles ! Je sautille sur place pour m’encourager, tant pis si je perds définitivement la face ! Et quelques secondes plus tard je m’élance sans respirer comme un hors-bord fou en brassées féroces, fendant l’étendue glacée qui me saisit tout le corps, et je hurle bouche ouverte dans l’eau salée.

Dix brasses plus tard le froid cède la place à une brûlure, mais je ralentis à peine, j’ai l’impression d’être gainée de la tête aux pieds d’insensibilité.
Je respire profondément et ouvre les yeux derrière le masque sur les dessous de la mer. J’adore percer son intimité.
Ça y est, le banc de poissons bleu-clair avec un trait noir avant la queue de l’année dernière vient m‘accueillir. Je salue, émue, mes amis oblades ; oui oui mes tout beaux, je suis revenue, oui oui on va jouer !
Tout près de mon visage et de mes mains avides ils s’écartent, et lorsque je me retourne ils sont tous à la queue leu leu derrière mes doigts de pieds. De sacrés farceurs !

Mon souffle est régulier maintenant, il colle à ma nage. Je glisse à la surface. Je suis dauphin, tout est fluide, je suis emplie de gratitude.
Je m’éloigne un peu jusqu’au gros rocher noir que j’appelle la main fermée, avec ses six doigts repliés bien dessinés. Sous moi, entre les algues ondulantes, j’entrevois une étoile de mer rousse qui se laisse admirer craintivement ; les pêcheurs du dimanche qui n’ont rien compris les arrachent souvent.

Ahh, attention… le froid revient en mes membres, il est plus que temps de rentrer ! 17 degrés c’et trop froid pour paresser entre les vagues, c’est même dangereux, mais je l’ai fait !!!
Je suis fière comme une guerrière après une bataille bien menée.
Demain je serai au rendez-vous à nouveau, c’est ma drogue salée.

Je sors de l’eau. Ma couleur laiteuse a cédé la place au bleu marine. Je suis en chair de poule. Heureusement le soleil darde ses rayons sur la plage. Repos mérité sur la serviette. Je revis dans ma tête ce moment de grâce de l’union retrouvée. Je prie pour qu’il dure des années encore. La vieille sirène que je suis est sûre d’avoir été poisson dans une autre vie.

En rentrant, j’ai un besoin vital d’écrire ma joie sur les pages blanches de mon cahier d’impressions fortes. Je sens déjà les mots me tourbillonner en tête.

J’écris vite, pour ceux qui ne connaissent pas la mer, pour le partage, pour leur donner le rêve de se pencher sur son immensité bleu-gris irisée si apaisante. Je borde mes paragraphes d’un double trait rouge important, une couleur qui lui irait bien au teint. Et j’ai soudain la vision d’un tableau flamboyant : la mer reposant dans un écrin rouge. La fébrilité m’étreint et j’écris alors pour les convaincre d’essaimer jusqu’ici, afin de déverser leur parure écarlate au pied des pins parasols et des rochers gris qui la surplombent… ce soir j’écris pour les coquelicots !

Jacqueline O.

 

Le rendez-vous - Eric

Il va me falloir marcher sur la pointe des pieds. Avancer pas à pas, sans faire de bruit, au rythme hésitant de l’aurore. Ne pas déranger la nature qui s’étire doucement de ses rêveries nocturnes. Ne pas interférer le chant enroué des rouges-gorges, ne pas brusquer les déambulations instables des coccinelles dans les herbes. Le banc de pierre est à dix mètres, de l’autre côté du jardin. Audacieuse traversée. Le rejoindre sans paraître intrusif est un défi à la mesure de ma place dans ce monde, de ma peur d’en compromettre le miracle. Chaque jour est différent, mais c’est pour chacun d’eux le même recommencement.

Je me recroqueville pour être plus petit, j’aimerais être un fantôme, un léger souffle se déplaçant dans l’air vers son poste d’observation favori. Ici le soleil surgit dans les branches, rai de lumière à peine esquissé. Quel meilleur moment pour faire jouer au repos son temps additionnel ? Un temps grappillé à la nuit, les paupières grandes ouvertes pour mieux voir celles des fleurs s’offrir une à une. J’observe et me repense, dans l’inventaire des histoires à construire. Ce qui est fait peut se défaire, ce qui prend forme se reforme, et l’aube annonce déjà les gestations du jour. Où en serai-je ce soir ? Plus loin, au même endroit, revenu en arrière ? La question n’est pas moi, mais tout ce qui m’entoure, tout ce qui pousse ici et là, que je regarde et voudrais raconter. Creuser encore, semer, tailler, arroser. Attendre et s’asseoir. Être comme la nature un passeur d’émotions.

Le banc de pierre est encore frais, humide de la rosée. Un piano joue ses premières notes. Les mots se mettent en branle, lentement, tel un train qui démarre. Je les attrape à la volée, pour aussitôt les libérer de leurs carcans stériles. Rien ne peut être aussi juste que l’harmonie des couleurs sous mes yeux. Comment s’écrivent les parfums ? Et comment dire la profusion des sens, l’exaltation qui est la mienne en cet instant fragile. Je ferme les yeux et laisse venir une autre image, à perte de vue, le long d’un chemin de campagne. Et soudain mes doutes vont se poser sur eux. Je crois avoir compris. J’écris pour les coquelicots.

Eric R.

 

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