Le 19 mars dernier, l’atelier d’écriture de la Médiathèque de Leuville-sur-Orge a traversé la rue, à la rencontre des œuvres exposées à l’occasion du Salon d’Art, situé juste en face.

Les écrivain.e.s ont pris le temps de faire le tour du salon, puis se sont posé.e.s devant l'œuvre qui, sur le moment, leur a donné envie d’écrire. On appelle ça l’inspiration.

 

A la fin de cet atelier particulier, avec nos textes en main, nous avons refait le tour du salon en nous arrêtant devant chacune des œuvres choisies pour lire et partager nos productions.

Rencontre étonnante, émouvante, entre l’art pictural et l'écriture.
C’est cette rencontre que nous vous proposons de revivre ici avec nous.

 

Horace Silver - Eric

Quand j’ai revu Horace, j’ai eu envie de le peindre. Immédiatement. Je le retrouvais tel qu’en lui-même, comme je l’avais connu dans nos années de lycée, près de quarante ans plus tôt. Cet air de joyeux drille, ces yeux rieurs, sa bonne bouille de farçeur, Horace n’avait pas trop changé. Et pourtant. Je lui ai demandé s’il voulait bien que je le prenne en photo. Il a dit oui tout de suite. Horace n’était pas du genre à dire non, ni à poser de questions. Horace était partant de nature, le type qui propose toujours de donner un coup de main pour porter une armoire, faire un peu de bricole, changer une vitre ou réparer un pneu. Il était resté le même.

Une fois la photo prise, je l’ai posée à côté de mon chevalet, et aussitôt j’ai pressenti que sa reproduction ne serait pas simple, qu’il y avait en lui autre chose, une énigme que je n’avais pas saisie sur le vif et qui n’était pas là du temps de notre jeunesse. Cette énigme était précisément mon envie de le peindre, elle me parlait directement, me concernait. Elle m’avait touché avant même que je ne la devine. Horace ne m’avait pas raconté sa vie, il s’était arrêté aux grandes lignes, un mariage, trois enfants, un divorce, son entreprise de maçonnerie, bientôt la retraite qu’il m’avait lancé dans un rire, enfin pas de quoi s’apesantir, même en présence d’un vieux copain. Horace pensait toujours qu’une bonne partie de pétanque en disait plus que n’importe quel discours. On ne va pas se faire des confidences à notre âge, m’avait-il dit juste avant mon départ, après notre dîner bien arrosé.

Et pourtant. En le dévisageant devant mon chevalet, je vis nettement la faille, sans pouvoir dire d’où elle provenait, ni où elle se situait exactement, mais elle était là, indiscutable. Le sourire large, les dents parfaitement alignées, les fossettes bien saillantes, les yeux décidément trop malicieux, c’était tout cela en même temps qui donnait à l’ensemble un air de profonde nostalgie. Ce n’était pas seulement le temps qui passe, ou la peur de vieillir, ç’aurait été trop simple, c’était autre chose de plus grave, de plus enfoui, ça ressemblait à un secret trop douloureux, une blessure inguerissable. On croit pouvoir cacher mais on ne cache rien. C’est ce que j’essayais de peindre, dans un silence fièvreux. Sans avoir besoin de connaître la nature de la faille, Horace m’autorisait à la rendre visible. Et tandis que mon pinceau cherchait la bonne distance, je sentais qu’il se tenait derrière moi, prêt à me guider dans son portrait. C’était comme un soupir, après de longues années d’attente. C’était une délivrance, aussi bien pour lui que pour moi.

Mais jamais je ne lui montrerai mon tableau.

Eric R.

 

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"Horace Silver" de Lionel Chardine

 

Je m’appelle Samira - Evelyne

Je m’appelle Samira, j’ai 18 ans. Cette année, j’aurais dû passer mon bac au lycée Marie Curie à Marseille.

Avec mes parents et mes sœurs, j’habitais une petite maison dans le quartier du Panier. Mes parents avaient pu l’acheter quelques années après leur arrivée en France et nous y étions nées toutes les trois. Quelle vie heureuse nous avions alors… Notre rue, nos voisins et amis avec lesquels nous formions pratiquement une famille… Ma vie d’écolière, de collégienne, de lycéenne… Mon père, ingénieur automobile en Algérie, avait très vite trouvé un travail dans une concession près de chez nous et ma mère était employée administrative à la mairie du 2ème arrondissement. Je suis la plus jeune, mes parents me confiaient donc facilement à mes sœurs et, comme tout le monde se connaissait dans notre quartier, nous étions très libres, goûtant souvent chez l'un ou chez l'autre quand nos parents n'étaient pas rentrés, et réciproquement pour les enfants de nos voisins.

D'ailleurs, la plupart de mes amis habitaient les rues adjacentes. Avec les plus proches, deux filles et deux garçons, nous formions une joyeuse petite bande. Bien sûr, nous faisions de temps en temps des bêtises comme tous les enfants puis les jeunes de notre âge, mais l'ambiance dans notre quartier était très bonne, et nous étions aussitôt pardonnés.

Peu après mes 15 ans, Maman est tombée malade et a été emportée en quelques mois.

Si bruyante avant, notre maison est devenue de plus en plus silencieuse. Mon père, jusqu’alors toujours calme et souriant, se lamentait et se fâchait maintenant très souvent. Lui qui avant avait pleine confiance en nous criait quand nous sortions et se montrait méfiant. Il ne supportait plus mes amis. Notre adolescence le dérangeait. Il arrivait encore à discuter avec mes sœurs, qui travaillaient et étaient fiancées toutes deux, mais ne se rendait plus disponible pour moi. Il ne savait plus me parler, m’écouter.

Je ne comprenais pas pourquoi, alors qu’il aurait dû au contraire essayer de combler auprès de moi l’absence de ma mère, il se lamentait tout le temps et se plaignait de nous, de moi surtout, quand il appelait notre famille au bled. Avant, notre maison était emplie de rires et de cris joyeux, maintenant elle retentissait de disputes et de pleurs.

Puis mes deux sœurs prirent un petit appartement ensemble et je me retrouvais seule avec mon père. Alors il commença à râler dès que je lui demandais quelque chose, notamment de sortir avec mes amis et, un jour, finit par interdire à mes copains d’entrer dans la maison en son absence. Il ne cessait de critiquer mes vêtements, ma coiffure, mon allure, mes envies, ne voulait plus que je sorte seule. Heureusement, nos voisins, ses amis, me soutenaient et il n'osait pas les contrer.

Il téléphona de plus en plus souvent à son frère, qui habitait un petit village dans la campagne algérienne, où sa famille vivait encore très traditionnellement. Il parlait bas, chuchotait même quand je m’approchais davantage.

Les vacances d’été arrivèrent. Mon père proposa que nous allions passer quelques semaines en Algérie. Bien sûr, j’acceptais, contente de rencontrer ma famille et espérant que cela le rendrait heureux et qu’il rentrerait à Marseille apaisé.

Mais nous ne sommes pas revenus à Marseille. En cachette, mon père a mis en vente notre maison et nous nous sommes installés dans une partie du corps de ferme de son frère. Tous les deux, ils ont décidé de me marier et ont reçu plusieurs hommes, qui dépassent tous la trentaine.

Ils ont choisi Mohand. Ce n’est pas le plus laid, ni le plus méchant. Il me parle gentiment quand nous nous promenons, suivis de ma tante et de sa sœur. Ces dernières semaines, on m’a préparée pour les noces et aujourd’hui, nous allons nous marier.

Mes sœurs ne viendront pas. Opposées à la décision de mon père, elles se sont fâchées avec lui mais j'ai fini par comprendre qu'elles ne pourront rien faire pour moi, elles à Marseille et nous ici. Elles ne m’appellent plus non plus, ne sachant sans doute pas que me dire…

Il y a encore quelques mois, je ne savais pas quelle serait ma vie, mais je suis sûre que ce n’est pas celle-ci que j’aurais choisie.

Je n’ai plus de vie.

Evelyne F.

 

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"Chimère" de Claudine Ancelin

 

Reflets de vie - Jacqueline

Je suis blond-blanc les rares jours de soleil, comme aujourd’hui. Brun chocolat les jours sans, lorsque mon poil s’assombrit, à l’image de mon âme.

L’eau me fascine quand elle est eau. J’ai du mal à croire qu’elle n’est pas toujours glace, alors je touche et je retouche sa surface, précautionneusement. Je la fais frissonner de la patte et elle me renvoie mon image floutée. Je parais alors moins massif, presque aérien et je me contemple, dubitatif.

Comme tout fout le camp sur la planète, comme neige au soleil, aurais-je le temps de plaire, d’être aimé ? Je suis jeune, la vie pulse fort en moi. A la pêche, devenue plus rare, je tiens bien ma place. J’ai la vigueur d’un adolescent et sa mélancolie aussi…

Mon regard doux aimerait tant se perdre dans les yeux d’une amoureuse. Elle serait mienne et je la défendrai griffes et crocs. Notre vie serait de miel et nos ronronnements d’abeille.

Notre union serait tapie loin des regards, au fond d’une grotte où nous nous endormirions de longs mois d’hiver, aussi paisibles que l’ours en peluche et l’enfant enlacés dans la nuit des hommes.

Jacqueline O.

 

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"Reflets" de Cely Lefebvre

 

Agathe - Jocelyne

- « Agathe, Aaagaaathe ?
- Oui ?
- Viens me montrer.
- J’arrive, je finis d’enfiler ma robe. Voilà !
- Oh ! Ma petite fille, comme tu es belle !
- Merci mamie.
- Cette robe de velours de soie pourpre te va à merveille. Vas-y, tourne… magnifique ! Pourquoi as-tu mis ce collier turquoise ?
- C’est pour aller avec mes chaussures, mamie.
- Alors montre-les-moi.
- Elles sont là, dans la boite.
- Oh ! Mais ce sont des chaussures de… de…
- De femme ?
- Oui… enfin, tu n’as que 17 ans, Agathe. Elles ne sont pas trop… hautes pour toi ?
- J’ai 17 ans et demi et c’est le bal du lycée. Tu ne voudrais pas que j’y aille en espadrilles, non ?
- D’accord, mais…
- Il n’y a pas de « mais », mamie. Je suis une femme maintenant.
- Ne te vieillis pas trop, ma petite ; tu verras que le temps œuvrera bien plus vite que tu ne le veux. A mon époque…
- Ah non, mamie, ne commence pas !
- Sais-tu au moins que j’ai rencontré ton papi au bal du lycée ?
- Ouais bah, trop peu pour moi.
- Ce genre de choses ne se calcule pas, tu sais. Ton papi était tellement beau, on aurait dit une star de cinéma. Son costume bleu faisait ressortir sa peau mate et ses yeux clairs. J’en suis tombée amoureuse au premier regard. Et quatre-vingts ans après, on est toujours heureux ensemble. Qui sait ? Peut-être que toi aussi, tu vas faire une belle rencontre ce soir ?
- Ok, c’est bon là, on va changer de sujet…
- Pourquoi ! L’amour est la plus belle chose qui puisse arriver. Je pense que l’homme de ta vie sera là ce soir.
- Et si l’homme de ma vie était une femme ?
- Hein ? Parle plus fort, ma chérie, qu’est-ce que tu dis ? Je n’ai pas entendu.
- Je dis que tu entends bien ce que tu veux.
- Imagine, tu es là avec ta belle robe…
- Blablabla blablabla…
- Tu virevoltes et lui n’a d’yeux que pour toi.
- Blablabla blablabla…
- Si tu ne sais pas quoi lui dire, tu lui fais la petite blague.
- Quelle blague ?
- LA blague, Agathe ! Monsieur et Madame Theblues ont une fille, comment…
- Bon, mamie, ça suffit !
- Agathe, Agathe Theblues.
- Pffff… ça fait 18 ans que j’entends cette blague, y en a marre à la fin. On n’pourrait pas passer à autre chose ?
- 17ans et demi, ma petite, c’est toi qui l’as dit. Et souviens-toi : « ne te…
- …vieillis pas trop vite », oui, je sais.
- Et tu arrives à marcher avec tes chaussures de…
- Bon, mamie, j’y vais !
- Déjà ?
- Oui, c’est le papa de Manu qui m’emmène. A plus.
- Agathe, attends !
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Fais-moi un bisou avant de partir quand-même.
- Voilà. J’y vais, mamie.
- Agathe, attends !
- Quoi, mamie ? Faut que j’y aille vraiment là.
- Je voulais te dire que tu es très belle, une vraie princesse. Je te souhaite une bonne soirée.
- Merciii.
- Agathe !
- Ouiii mamiiie ?
- Je t’aime.
- Moi aussi, mamie, je t’aime. »

Jocelyne D.

 

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"Agathe" de Geneviève Schoetter

 

Tigre Lion - Kevin

Suite à une longue correspondance, aujourd’hui est le jour de ma première rencontre avec Chloé. Je lui ai donné rendez-vous au salon d’art à proximité de nos domiciles. Je suis nerveux et impatient à la fois.

J’arrive avec un peu d’avance, mais j’aperçois avec surprise une jeune femme semblable à la photographie de Chloé patientant à l’entrée. Sans perdre une minute, je la rejoins et l’invite à entrer. Très vite, nous nous retrouvons au milieu de la galerie le regard aimanté d’une œuvre à l’autre, sans mots, témoignage d’une profonde curiosité.

Passées les natures mortes, j’entre dans une allée de tableaux représentant fidèlement des animaux sauvages. Une œuvre me retient particulièrement : il s’agit de la tête symétriquement partagée entre un tigre et un lion. Cette dualité affichée m’interpelle. La passivité royale du lion et le tigre chasseur vif rassemblés. Deux manières d’être : la « contemplation » et « l’action » habitées d’un esprit de domination animal avec un appétit tout aussi sauvage l’un que l’autre.

N’ai-je pas moi-même un comportement analogue dans ma vie ? Tantôt actif, tantôt passif, à l’instar du tigre et du lion mais toujours prêt à en découdre à la moindre occasion… Servir ou être servi, n’est-ce pas ce qui occupe toute mon attention ? Ce portrait me touche pour l’intégration harmonieuse de ces opposés.

Kevin S.

 

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"Tigre-Lion" de Nataly Bodrik

 

Sens - Marie

Ils le lui avaient dit... La quête serait longue, difficile... Laisse-toi guider par la sagesse... Ce conseil résonnait comme un mantra, imprégnant la vie quotidienne d'Enzo depuis de nombreuses années. Sa longue exploration lui avait permis des découvertes incroyables, des rencontres extraordinaires. Il avait cultivé la sagesse...

Depuis quelques temps, plus rien... Il avait attendu un signe pour savoir que chercher... Où chercher... Comment avancer. Les longues méditatons n'avaient pas apporté de réponse.

Ce soir, dans les effluves du bois sacré qui se consumme doucement, il accepte. Il accepte que rien ne se passe. Il lâche prise et, allongé sur son tapis, se laisse aller à cet abandon.

Très vite, il ressent une aspiration vers un ailleurs. Une myriade de sensations s'enchaînent à un rythme vertigineux, au delà du descriptible.

Le visiteur se retrouve dans une immense pièce vide aux contours floutés. Aucun repère. Même le sol est invisible. Etonné, Enzo regarde cet étrange décor lorsque surgit magiquement un livre, un énorme manuscrit au cuir vieilli, orné de dorures aux motifs complexes, indéchiffrables, qui flotte, baigné d'une clarté laiteuse, tel un bel ouvrage exposé dans un musée.

Le voyageur hésite... A-t-il le droit de le toucher ? De l'ouvrir ? Il tend lentement le bras. Il s'attend presque à une coque de protection invisible qui le repousserait, voire le désintègrerait. Mais il se sent autorisé à aller plus loin.

Du bout des doigts, il effleure la reliure avec un grand respect. Sa main légèrement tremblante peine à ouvrir le lourd recueil. Des pages noires aussi fines que du papier de soie révèlent des textes très denses d'un graphisme délicat à l'encre blanche.

Une calligraphie associant des lettres, des signes. Le vieil homme reconnait des alphabets antiques, très variés, mélanges de différentes cultures de tous les continents de sa planète, mais repère aussi des caractères inconnus, des symboles d'autres origines. Tous les feuillets livrent cette drôle d'écriture qui lui est inaccessible.

Que penser ? Que lui donne-t-on à voir ? Qu'attend-t-on de lui ? Enzo sait qu'il est face à un savoir immense, celui de différents mondes, bien au-delà des civilisations anciennes de sa terre.

Soudain, un léger souffle pénètre l'espace, se concentre sur le livre qui se met à vibrer. Les pages s'agitent, tournent à un rythme affolant, libérant les mots, les caractères qui se détachent, s'échappent, se déforment, s'effilochent.

Au même moment apparaît une nuée de couleurs où s'entrevêtrent des entrelacs de rubans aux teintes chatoyantes parfois métallisées, de camaïeus de bleus, verts, roses, violets, où se mêlent la dorure du cuir éclatée en mille paillettes et les écrits étiolés qui s'enfuient.

Enzo est émerveillé par ce spectacle dansant. Les bandes colorées de tailles diverses semblent être un crible au maillage irrégulier et aléatoire qui absorbe tous les textes. Le volume a disparu, laissant place à cette étrange volute grimpant vers le ciel.

Enzo est confiant. Patience... Il faut attendre la fin de la transformation... Il ferme les yeux, le visage offert à cette toile mouvante démesurée qui se condense alors en un fin rayon lumineux pénétrant en une fraction de seconde son troisième oeil.

Le vieil homme est pétrifié. Plus tard, reprenant ses esprits, il constate, incrédule, la présence de l'imposant recueil. A-t-il rêvé toute cette scène ? Il s'approche, fixe le titre et se rend compte qu'il le comprend.

Marie

 

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"Sens" de Cécile Brunner

 

La rêveuse du huitième - Rosa

J’aimerais bien parfois vivre ailleurs…

Oui… j’aimerais bien…

On dit de moi que j’ai l’esprit vagabond, que j’ai l’âme baladeuse, que je suis tout le temps ailleurs ou que je plane ! On dit de moi beaucoup de choses, et elles sont probablement vraies.

La rêverie et l’imagination me semblent être les moyens d’évasion les plus rapides, à portée de main à tout moment, sans frais et pour tout le monde.

Là, à cet instant, le souvenir sensuel de mes orteils pénétrant avec volupté le sable chaud de la plage de Caminha s’empare de moi, il m’envahit et me transporte jusque là-bas.

Là, donc, mon corps est ici mais mon esprit est au Portugal, dans cette merveilleuse petite ville médiévale devenue mon port d’attache. C’est au cœur de ses murailles que je me ressource. Ses pierres gorgées d’histoire, son estuaire, son port, ses ruelles, ses maisons d’époque, ses chapelles et ses pavés usés me procurent des sensations inimaginables.

Face à l’océan, mille fois mes yeux se sont perdus dans le bleu indéfinissable de l’horizon. A l’endroit précis où le ciel épouse les eaux tumultueuses, le bleu semble doux comme du velours. Au loin, tout parait calme, et je peux rester ainsi durant des heures, le regard rivé sur cette ligne à la couleur sensiblement changeante selon la lumière du moment !

Mais le cœur de la ville et l’océan ne sont pas les seuls éléments qui me comblent de bonheur ! Les alentours sont porteurs d’une autre richesse devenue banale pour les personnes vivant sur place et ne sachant plus apprécier la chance inestimable qu’elles ont ! Quelle que soit la saison, même en plein été au moment où il fait le plus chaud, les forêts de pins et d’eucalyptus avoisinantes purifient l’air et le rafraîchissent tout en l’embaumant d’un parfum irrésistible. Ces arbres majestueux, à la hauteur vertigineuse, semblent faire le lien entre le ciel et la terre. Leur pouvoir de guérison est certain : il me suffit de humer leurs fragrances pour qu’un bien-être profond m’envahisse durablement. J’aime arpenter les petits chemins forestiers dessinés au fur et à mesure des passages, jonchés de ronces, terreux à souhait et revenir les pieds noirs de poussière.

J’aimerais bien parfois vivre ailleurs… Vivre là-bas peut-être.

Et pourtant !

Ma vie est ici et elle y est belle aussi.

Mes amis sont à deux pas, nous sommes liés par des souvenirs communs remontant à notre plus tendre enfance et je ne saurais me passer d’eux ! Et il y a le parc avec son chêne bicentenaire sous lequel j’aime m’assoir pour ne rien faire d’autre qu’observer les gens et rêver leur vie ou la mienne…

Il y a aussi les commerçants du quartier auxquels je suis attachée, et en particulier le vieil épicier tunisien au regard plissé par les milliards de sourires offerts durant toute une vie de dur labeur.

Il y a les voisins, par dizaines ! C’est parfois étourdissant, mais au moins l’ennui ne trouve jamais de place ! Certains sont très gentils et d’autres un peu moins : il y a des jeunes et des moins jeunes, des intellos, des idiots, des marrants, des loufoques, des grincheux, des invisibles…

Il y a l’adorable mamie du troisième qui ne pourrait pas garder son chien si elle n’avait personne pour le sortir. Elle me rappelle tellement ma grand-mère que lui rendre ce service est un véritable plaisir ! Il y a ceux à qui j’invente une vie, et il y a ceux qui racontent trop la leur !

Il y a les envahissants et il y a ceux que j’aimerais mieux connaître, comme le jeune homme du neuvième, de l’autre côté de la rue…. Il semble aussi timide que moi. A ce rythme-là, je ne sais pas si l’on pourra se regarder dans les yeux un jour ! Sans doute s’imagine-t-il que je suis totalement indifférente… Là je n’ose pas, mais demain je lui ferai un petit signe, pour voir… peut-être…

Rosa C.

 

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"La rêveuse du 8ème" de Pierre Hano

 

L'enfant sans larmes - Thibaud

« L’enfant sans larmes » par James Patterson, Souvenirs.


Après toutes ces années, je ne me souviens plus comment m’est venue la réalisation de ce portrait d’enfant… Quelle était la raison qui m’avait conduit à choisir ce petit garçon que je redécouvre aujourd’hui ? Je me rappelle simplement avoir été guidé par une sensation inconnue jusqu’alors. Quand mon regard s’est posé pour la première fois sur son visage, j’ai su que je tenais quelque chose qui devait s’exprimer au travers d’une mosaïque !

J’ai couvert beaucoup de conflits au cours de ma longue carrière de reporter. Je me suis rendu là où la guerre faisait rage, là où les hommes pris d’une fureur meurtrière semaient la mort dans des villages de femmes, de vieillards et d’enfants. J’ai photographié de telles atrocités dans ma vie que je pensais que plus rien ne pouvait m’émouvoir, les horreurs vues au quotidien m’avaient complètement déshumanisé. Toute trace d’émotion, de colère et de tristesse encore en moi s’était volatilisée depuis fort longtemps.

Mais là, face à cet enfant, j’ai ressenti une étrange impression, la paralysie s’est soudainement emparée de mon corps et de façon presque naturelle j’ai lâché mon fidèle appareil-photo pour le regarder de mes propres yeux. Je voulais le voir sans barrière ni filtre, l’observer tel qu’il apparaissait à sa famille, à ses amis et aux étrangers comme moi. Je n’en savais pas plus sur son compte, je n’ai jamais su son nom et d’ailleurs je ne désirais pas le savoir du moins pas sur le moment…

J’en ai pourtant vu des centaines depuis que j’exerce ce métier, des filles et des garçons exprimant chacun leur terreur, leur angoisse ou leur incompréhension. Alors pourquoi lui ? Et pourquoi cette mosaïque plutôt qu’une photographie ? Pour une raison que j’ignore encore, j’ai éprouvé le besoin d’un autre support, il m’importait de conserver « son image » autrement, pas uniquement d’appuyer sur un « clic » et me contenter d’un cliché que j’aurai oublié au bout de six mois.

Non, décidément, avec le recul, je suis maintenant convaincu d’avoir pris la bonne décision en restituant à cet enfant l’éclat et la vitalité qu’il méritait. C’était le moins que je puisse faire pour lui. J’ai gardé ce souvenir presque intact, les choses sont restées à peu près telles qu’elles étaient gravées dans mon esprit. Il n’y a dans cette scène aucune pose ni faux-semblant, l’enfant est allé de lui-même se réfugier derrière cet arbre d’allure massive et rassurante.

Il y a dans son œil de la curiosité enfantine, un certain intérêt vient supplanter pendant quelques instants l’inquiétude et la crainte environnante. A première vue, il semble question d’un petit garçon tout à fait normal qui vit une existence paisible comme le vivrait n’importe quel petit garçon de son âge…

C’est le moment que j’ai voulu conserver, garder à jamais cette vision de sérénité toute relative car la toile de fond est en réalité bien plus tragique. Ce petit n’avait révélé que son œil droit, l’autre partie de son visage était en effet complètement défiguré sans doute à la suite d’une déflagration ou d’un bombardement aérien. Le réel avait rapidement repris ses droits !

J’ai fait de mon mieux pour recueillir toute la sensibilité, toute la fragilité de ce petit être qui se retrouvait maintenant seul au monde. Qu’est-il devenu depuis notre rencontre ? Quel avenir l’attendait au milieu de ce champ de ruines ? Je n’aurai sans doute jamais de réponses à mes questions… Peut-être reviendrai-je un jour dans cette contrée lointaine lorsque les canons se seront tus et que la paix sera revenue dans l’espoir d’y retrouver ce garçon devenu homme avant tous les autres.

Thibaud C.

 

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"Le gamin" de Monique Le Peutre

 

Les pieds nus - Véronique

Une palette de couleurs
Pour des témoins émerveillés
Des petites touches de douceur
Sur une côte ensoleillée

Quelques empreintes, un doux secret
Qui se dévoile à chaque pas
Laisser derrière le passé
Pour avancer le cœur en joie

Une aquarelle de la vie
Que l’on savoure sans rien laisser
Imaginant avec envie
Un beau futur bien plus enjoué

Aucune boule de cristal
Pour lire les lignes de ces pieds
Comme un message subliminal
Que nos yeux doivent déchiffrer

Dans le silence d’un bel été
Sur une plage de velours
Je te dévoile ma pensée
Trace ton chemin avec amour.

Véronique C.

 

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"Amandine" de Geneviève Schoetter

 

Vers la résilience - Viviane

Une attraction irrésistible, de l’ordre du ressenti, aller vers, cheminer au cœur de ses émotions complexes comme les matières qui structurent cette œuvre.

Une naissance sphérique, je la ressens vive, multiple, indicible, mouvementée, là où tout prend naissance.

C’est une sensation très viscérale, très animale, organique et contenante, tout est là en couches successives, la pierre tourne sur elle-même, en elle, en nous. Dans les entrailles de la terre, dans les entrailles de notre chair. Elle est le réceptacle de nos émotions, profondes et insondables. Concentriques, elles se structurent par couches, bleues, blanches, dures, impossible d’y échapper.

Elle tourne en rond, comme nos tourments qui nous rongent et se forment en couches superposées. Viscéral ce nœud au ventre, ce tourbillon d’émotions qui nous envahit, nous habite, dont il n’y a pas d’issue.

Piégé, piégé dans notre mal-être. Notre tête et notre cœur ne sont plus maîtres en ce monde de tourments.

Animal et primaire, terre et humain réunis dans la même structure minérale, miroir de l’âme.

Si forte et si fragile à la fois, tapissée par une multitude de roches qui font écho à l’accumulation de nos soucis et tracas au gré de nos tourments.

Sommes-nous contraints de tourner en rond, de nous faire des nœuds au ventre, de ne trouver aucune issue ?

A bien y regarder, à droite, une porte de sortie, un chemin tout tracé pour s’échapper, s’élever, être aspiré vers le haut, vers la résolution des problèmes. D’abord jalonné de grosses pierres, c’est encore caillouteux, compliqué, le chemin n’est pas tout tracé. II faut s’armer de patience et de détermination pour passer cet espace rocailleux. Il est nécessaire et inévitable. Un passage obligatoire, de remise en question, d’aller de l’avant, de quitter ce lieu de tourmentes pour renaitre.

Le chemin se fait plus clair et structuré. Un dallage moins aiguisé, moins anguleux, moins blessant, le plus dur est passé.

Aller de l’avant, continuer, persévérer et guidé par un chemin parsemé de pierres translucides. Enfin la lumière !

Quitter ce lieu tourmenté pour accéder à un devenir coloré, bleu, calmant après la tempête de nos émotions. Le calme retrouvé qui culmine et pointe vers le ciel. Cette renaissance tant espérée, tant travaillée et sortir de ces épreuves, guidé vers la sérénité.

Chemin de droite, chemin de gauche, tous deux vers l’élévation. L’un plus courbe, l’autre plus droit mais tous deux sortent de ce point central.

Quel chemin emprunterons-nous à la prochaine émotion, celle que nous ressentirons au plus profond de nous dans notre ventre, celle qui nous coupe le souffle, qui nous immobilise comme cette sculpture forgée dans la roche qui nous éblouit dans la magnificence des ressources aux entrailles de la terre, aux entrailles de notre être.

Résonnance, guidé par la pensée, une invitation à transcender, à dépasser et à progresser vers le pardon que l’on s’accorde, partagé entre la raison et la passion qui nous transporte et nous bouleverse, dont on tire le meilleur pour s’élever, encore plus haut et être à l’écoute de tout son être.

Comme ces flammes qui émanent de cette pierre, se construire dans le positif, devenir plus fort, aiguiser notre humanité, aller au-delà de nous-même, de notre devenir, nous transporter et progresser vers la résilience.

Viviane H.

 

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"Résilience" de Rosa Coupé

 

End FAQ

 

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